Ce que Parcoursup dit de la politique d’enseignement supérieur en France

Depuis le 18 janvier et jusqu’au 9 mars prochain, les futur.e.s bachelier.e.s sont invité.e.s à s’inscrire et à faire leurs vœux d’orientation dans l’enseignement supérieur sur Parcoursup. Une plateforme incontournable pour les formations post-bac qui ne va pas sans poser de problème. Au-delà de l’outil lui-même, c’est l’ensemble d’une politique d’enseignement supérieur qui peut être questionnée à travers son usage. C’est ce que propose le dernier « Dossier de veille de l’Ifé » (n°142 de janvier 2023) sous la plume de Marie Lauricella.

Dans un contexte européen d’économie de la connaissance et de stratégie de Lisbonne, il est important de resituer l’imposition d’un système numérique de « rationalisation » des inscriptions dans l’enseignement supérieur et particulièrement en université. En effet, APB, ses prémices expérimentales, puis Parcoursup s’inscrivent dans une double logique :

  • Une massification de la demande, liée à l’augmentation du nombre de bachelier.e.s (avec l’objectif de 80% d’une classe d’âge ayant le niveau du bac) ;
  • Une volonté de réduire l’échec en premières années d’université, attribuable en partie à l’inadéquation entre la formation au lycée (et particulièrement dans les filières technologiques et professionnelles) et celle en facultés.

Mais pour bien tout comprendre, il faut ajouter que cette volonté de démocratiser la réussite dans l’enseignement supérieur ne s’est pas traduite par un abondement budgétaire. Bien au contraire, alors alors qu’entre 2008 et 2021 le nombre d’étudiants a augmenté de 25 %, le budget de l’enseignement supérieur a lui chuté de 12 % (Hugrée et Poullaouec, 2022). En France, seulement 1,5 % du PIB est consacré à l’enseignement supérieur, contre 2,7 % aux USA. Cette contradiction entre une croissance démographique étudiante et un « hiver budgétaire » (Ibid., p. 18) subi par les établissements d’enseignement supérieur a eu pour conséquence de modifier profondément la politique d’accession à l’enseignement supérieur. Si jusqu’alors, le baccalauréat en était la seule clé d’accès, il n’est dorénavant plus suffisant : l’université sélectionne.

Selon l’Ifé, cette sélection se joue en deux temps : « sous la forme d’un contrôle en amont et en aval de la formulation des choix d’orientation des lycéen·nes :

  • en aval, la Loi ORE étend le classement des candidats à l’ensemble des formations de l’enseignement supérieur et instaure de fait une sélection à l’entrée de toutes les filières universitaires [en tension], appuyée sur un nouvel outil d’aide à la décision intitulé Parcoursup.
  • en amont, la constitution d’une « fiche-avenir » pour le lycéen, destinée à statuer de la « cohérence du vœu formulé » et de la « capacité à réussir » du futur étudiant, ainsi que son encadrement désormais renforcé par l’intervention de deux enseignant·es […] termine de faire de la procédure d’entrée dans le supérieur une véritable gestion prédictive des bacheliers. […] Les taux de réussite en fonction du baccalauréat d’origine constitués par les établissements d’enseignement supérieur permettent d’établir des profils à risques, d’encadrer les prescriptions des agents de l’institution scolaire, d’agir sur les aspirations des jeunes et de leur famille, de guider les paramétrages des formations d’accueil. » (Bodin et Orange, 2019, p. 217-218) ».

La Loi ORE (Orientation et Réussite des Étudiants), de 2018, qui institue ce mécanisme, revendique « de passer de l’enseignement supérieur pour tous, à la réussite dans l’enseignement supérieur pour chacun ». Cela implique un renforcement des procédures d’orientation au lycée, encore plus indispensable avec la réforme du baccalauréat général (2019) qui nécessite de faire des choix de spécialités et d’options (et non plus de séries) dès la classe de première, voire de seconde. Or le constat s’impose que les procédures d’accompagnement des élèves ne sont pas à la hauteur des besoins. Ainsi les résultats d’une enquête de la Cour des comptes en 2020, « portant sur l’ensemble des filières des lycées (général, technologique et professionnel) révèlent que la notion d’orientation est parfois davantage conçue par l’équipe de direction comme une gestion des flux vers l’enseignement supérieur plutôt que comme l’accompagnement d’un projet individuel ».

De plus, Parcoursup porte dans son fonctionnement même deux biais qui influent sur le parcours des futur.e.s étudiant.e.s . D’une part, la dimension informative de la plateforme se transforme également en éléments de dissuasion et ceux-ci touchent majoritairement les filles de milieu populaire dans une sorte d’autocensure. D’autre part, la non hiérarchisation des vœux conduit à des lourdeurs de procédures, mais surtout ne permet pas d’analyser le degré d’adéquation entre les propositions reçues et les préférences réelles des candidat.e.s.

Enfin, dans ce modèle « économiste » (Allouch, 2021), la procédure tend à attribuer les places dans l’enseignement supérieur à celles et ceux qui seront les plus performant·es pour les occuper, dans une logique de marché où il faut faire correspondre une « demande » à une « offre », en contexte de tensions entre moyens alloués et démographie étudiante croissante. La dimension sociale, même si elle existe, reste modeste. Cinq ans après la mise en place du dispositif, si les premières enquêtes démontrent que « les quotas ont permis à des boursiers d’accéder à des formations dans lesquelles ils n’auraient pas été admis sans ce dispositif », leur effet demeure limité :  la part des boursiers inscrits dans les différentes formations universitaires a progressé de 1,8 points entre 2012 et 2020.

Ainsi conclue le dossier de l’Ifé, « la procédure d’accès à l’enseignement supérieur instituée par la Loi ORE révèle un profond paradoxe entre la multiplication des mécanismes de régulation (publication des attendus et incitation à l’autosélection, gestion des flux assurée par les lycées, classification opaque des algorithmes) et « un discours de responsabilisation individuelle, où les parcours ne dépendraient que de la sélection (donc du mérite) et des choix » (Blanchard et Lemistre, 2022, p. 15) ». Il s’agit de maximiser la réussite dans l’enseignement supérieur tout en minimisant les couts supplémentaires d’une démocratisation d’accès souhaitée mais non assumée. Parcoursup, avec ses améliorations quant à son prédécesseur ABP et ses défauts, tout particulièrement son manque de transparence et l’opacité des affectations, n’est qu’un outil de « sélection des étudiant.e.s, « dépersonnalisée, rationalisée et routinisée par des algorithmes ou des procédures formelles » (Chauvel et al., 2020, p. 276) », au service d’une politique de l’enseignement supérieur qui ne se donne pas les moyens d’une ambition pour une société éducative de demain.


Pour retrouver l’ensemble du dossier de veille de l’Ifé : https://eduveille.hypotheses.org/16999

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