C’est le 12 février 1993 qu’est née officiellement l’Union Nationale des Syndicats Autonomes. Issue de la volonté de rassemblement de 5 organisations syndicales, cette nouvelle union interprofessionnelle apparaît dans un paysage syndical déjà complexe. Grâce à l’impulsion de la Fédération de l’Éducation Nationale (FEN), les syndicats FGAF (Fédération générale autonome des fonctionnaires), FMC (Fédération de la maîtrise des Cadres de la SNCF), FAT (Fédération autonome des transports) et FGSOA (Fédération générale des syndicats de salariés des organisations professionnelles de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire) se rassemblent autour d’un projet commun : créer un syndicalisme réformiste rassemblé, tout en étant fermement attaché à la laïcité, à la République, à la justice sociale, mais aussi à l’indépendance syndicale, aux libertés et à la lutte contre toutes les discriminations. Un autre point est essentiel : le choix de l’autonomie, c’est-à-dire le souci de respecter l’identité et la liberté de chaque organisation membre. Mais pourquoi créer une nouvelle union syndicale à ce moment-là ? Quelles sont les caractéristiques du nouveau regroupement ? Quel projet et quelles ambitions ?
Une naissance marquée par le contexte

Il faut tout d’abord rappeler le contexte de l’époque : la chute du Mur de Berlin en 1989 a éloigné définitivement la possibilité de l’instauration du communisme. L’Europe de l’Est se libère du joug soviétique et aspire à rejoindre l’Union européenne. Cette nouvelle configuration géopolitique a été accueillie favorablement au sein de la FEN, qui a longtemps milité pour les droits et les libertés à l’Est du continent. Mais certaines tendances de l’organisation syndicale sont à ce moment toujours marquées par l’influence communiste, même si peu soutiennent les dictatures. La disparition du bloc soviétique oblige à revoir une vision du monde figée depuis les débuts de la guerre froide. Dans cette période, le modèle capitaliste semble promis à une victoire par KO. La société de marché progresse et semble dorénavant indépassable. Pourtant, les inégalités sociales se développent dans tous les pays, et le monde des travailleurs et des travailleuses connaît alors une augmentation des sollicitations qui entraîne de nouvelles revendications, aussi bien au niveau des salaires que du temps de travail. Certains prophétisent la fin de l’Histoire, mais aussi la fin du mouvement ouvrier, qui serait irrémédiablement affaibli à cause de la disparition du communisme et du triomphe du modèle capitaliste. La réalité est pourtant toute autre.
Au même moment, la gauche de gouvernement en France s’interroge sur ses perspectives : François Mitterrand est en difficulté durant son second mandat, marqué par des divisions importantes au Parti socialiste. Michel Rocard, incarnation de la 2ème gauche plus réformiste, n’est plus Premier Ministre depuis quelques mois, et Edith Cresson a peiné à trouver sa voie et c’est finalement Pierre Bérégovoy qui est chef du gouvernement à cette période. Ces difficultés politiques entraînent un fort renouveau de la droite qui gagnera, quelques semaines après la naissance de l’UNSA, les élections législatives, ce qui déclenche une nouvelle cohabitation.
Dans ce contexte politique mouvementé, Il est logique que le monde syndical soit aussi en proie à des remises en cause : quelques-uns s’engagent dans une logique de contestation et d’agitation protestataire. Beaucoup s’interrogent sur la définition de ce que devrait être le réformisme, souvent perçu comme flou et peu efficace. D’autres veulent bâtir une organisation davantage en phase avec son époque. Ce sont elles et eux qui constituent l’ossature de la nouvelle UNSA.
De la FEN à l’UNSA ?
Cette démarche doit beaucoup à la FEN, qui connaît depuis quelques années de forts remous qui aboutissent à une scission : d’un côté, les réformistes qui vont œuvrer pour créer l’UNSA, de l’autre, les syndicats toujours marqués par l’influence du communisme qui se regroupent dans la Fédération syndicale unitaire (FSU) avec une vision d’un syndicalisme protestataire voire révolutionnaire. Il s’agit donc pour la FEN, en créant une nouvelle organisation interprofessionnelle forte de plus de 400 000 membres, de dépasser les anciennes querelles de tendances et de lancer une aventure syndicale inédite. Celle-ci se construit en plusieurs étapes, certaines officielles, d’autres en sous-main. Depuis plusieurs années en effet, les rencontres se sont multipliées entre des syndicalistes de différents bords, de la FEN bien sûr, mais aussi de la CFDT, de militants de FO, fidèles à la dimension originelle de leur centrale et en rupture de ban avec la direction du moment, de syndicalistes d’organisations autonomes de plusieurs secteurs d’activités. Ce qui les unit est clair : la volonté de construire un syndicalisme rassemblé, porteur de valeurs démocratiques et sociales et surtout redonner ses lettres de noblesse au réformisme syndical.
La première étape officielle se déroule le 5 juillet 1992 à l’auberge de Ribeauvillé à Paris, dans le 9e arrondissement. Les 5 organisations qui vont donner naissance à l’UNSA lancent un appel public autour de valeurs et de principes communs. Ce début de juillet est pluvieux, mais cela ne décourage pas les bonnes volontés ! Plusieurs autres étapes suivent et les choses s’accélèrent au début de l’année 1993 : en janvier, on travaille sur les futurs statuts et le 2 février lors d’une conférence de presse, les militantes et militants proclament la création officielle de la nouvelle union. Dix jours plus tard, l’assemblée constitutive se déroule à Paris. On peut retenir ce jour du 12 février comme la date de la naissance de l’UNSA.
Une formidable aventure humaine
Martine Le Gal (1947-2006) est désignée comme la secrétaire générale de la nouvelle organisation. Elle explique dans FEN Hebdo du 19 février : « le programme de l’UNSA est clair : rencontrer, dialoguer, convaincre, intervenir, proposer et agir. Faire entendre notre voix. Notre voix syndicale sur tous les dossiers sociaux. Participer au renforcement d’un syndicalisme au service du progrès social, des salariés, de la démocratie. »
La première assemblée permet de détailler le programme, le fonctionnement et les statuts de la nouvelle union. Elle se constitue sous une forme originale : on trouve à sa tête un président (Jacques Mallet, né en 1945, cheminot ; le poste de président disparaît rapidement ensuite) et donc une secrétaire générale, Martine Le Gal, enseignante de la FEN. Dans son discours le 12 février, elle définit les contours de la nouvelle UNSA : « Pas une 6ème Confédération, pas une arme contre quiconque, pas une organisation de plus dans un paysage syndical déjà trop dispersé, émietté, affaibli. » Alors pourquoi créer une nouvelle organisation ? Cela se fait afin de « créer ce déclic et cette petite flamme, qui modestement, peuvent permettre le sursaut nécessaire pour redynamiser et reconstruire, en France, un syndicalisme fort, représentatif, un syndicalisme réformiste. » Les statuts, composés de 19 articles précisent les ambitions : « développer en France, en Europe et dans le monde un mouvement syndical réformiste, fort et uni, dans le respect des grands principes suivants : attachement à la laïcité de la République, à la démocratie, aux libertés, à la justice sociale, à la solidarité, à la défense du Service Public, au droit à l’emploi, à la fraternité et à la tolérance, dans la fidélité de l’indépendance syndicale. »
La FEN est hégémonique dans la nouvelle UNSA mais d’autres forces syndicales, attirées par ce projet syndical réformiste, rallient la nouvelle union dans les années suivantes. L’ouverture vers le privé se concrétise peu à peu et difficilement, une structuration se met en place progressivement dans les premières années de fonctionnement. L’organisation est volontairement souple, à l’opposé des appareils bureaucratiques des autres centrales ; chaque organisation membre garde son autonomie et son fonctionnement propre. Tout cela est nouveau dans le paysage syndical français, et chacun et chacune doit apprendre à travailler de concert.
Cette union est-elle pour autant « une coquille vide » comme le dit à l’époque le quotidien Le Monde ? Il n’en est rien car l’UNSA va se développer jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, l’accueil de la nouvelle née est discret : Le Monde ne fait qu’un entrefilet annonçant sa création dans son édition du 18 février 1993. Quant aux autres organisations syndicales ? C’est le silence qui prédomine, seule la CFDT salue l’arrivée de l’UNSA. Mais quelques semaines plus tard, la toute nouvelle organisation participe à sa première mobilisation : le 2 avril 1993, à l’appel de la Confédération européenne des syndicats, l’UNSA manifeste à Strasbourg pour une Europe sociale et pour l’emploi.
Ensuite, la croissance de la nouvelle organisation n’est pas un long fleuve tranquille mais la consolidation de la jeune UNSA est réelle. Ses organisations syndicales membres changent aussi progressivement de nom pour afficher l’identité UNSA : la FEN prend ainsi en 2000 le nom « UNSA Éducation ». Cette dernière connaît une évolution et une histoire commune dorénavant liées à l’UNSA. Quelques années avant, en 1995, s’est déroulé le premier congrès de l’organisation, qui a depuis 1994, Alain Olive comme secrétaire général. Enseignant issu de la FEN, né en 1950, il reste secrétaire général de 1994 à 2011, consolidant étape par étape l’union. Dans le livre qui présente l’UNSA, il définit sa vision du syndicalisme : « Loin d’une vision dépressive ou cynique du monde, l’engagement syndical est une école d’optimisme. C’est cet optimisme et cette croyance dans la nécessité de l’action pour construire une société plus juste et plus solidaire.[1]»
Luc Bérille, également enseignant, lui succède de 2011 jusqu’en 2019, date à laquelle il est remplacé par Laurent Escure, l’actuel dirigeant de l’UNSA, qui est également issu de l’UNSA Éducation.
« Assez pour tisser un bout d’histoire, mais jamais suffisamment pour que l’histoire soit finie [2]»
À quoi sert l’Histoire ? Sert-elle dans l’action syndicale ? Il n’y a pas de réponses faciles à de telles questions mais évoquer les 30 ans de l’histoire de l’UNSA oblige à y réfléchir. On peut le faire, accompagné par exemple des remarques du grand historien Lucien Febvre. Co-créateur des Annales avec Marc Bloch, il a également été militant du mouvement ouvrier dans sa jeunesse. Quelques années plus tard, il est revenu dans des conférences sur l’histoire du mouvement ouvrier sur ce sujet, avec des formules, parfois acerbes, souvent très justes comme à son habitude :
« Les hommes qui prennent part au mouvement syndical ne sont naturellement pas des historiens ; ils se soucient fort peu de l’histoire. Elle leur fait l’effet d’une embaumeuse – et eux, ils vivent, ils veulent vivre, sans se soucier de ce que deviendra leur cadavre.[3]»
Il explique ici parfaitement le sentiment que l’on peut avoir lorsqu’on participe à l’action syndicale. Mais Lucien Febvre précise encore :
Il y a pour lui une « façon presque fatale » de faire l’histoire du mouvement ouvrier : « je parle des historiens, qui se prétendent impartiaux et qui sans doute font l’effort pour l’être. Mais il est bien rare que leur impartialité s’accompagne de cette connaissance intime du sujet qui seule pourrait l’éclairer vraiment ».
Nul doute que « cette connaissance intime du sujet » est effectivement nécessaire pour faire l’histoire de la jeune UNSA, tout en respectant les règles de la méthode historique[4]. Pour le moment, la recherche en histoire ou en sciences sociales s’est peu intéressée à cette aventure syndicale, même si on dispose toutefois d’études intéressantes. Il y a davantage de témoignages des principaux acteurs qui ont participé activement aux débuts de l’UNSA ( voir la bibliographie indicative ci-dessous) mais cela ne suffit pas : il est nécessaire de se préoccuper des archives, de s’intéresser aux parcours sans céder à « l’effet d’une embaumeuse », ni fausse impartialité ou sympathie aveuglante. C’est pourquoi il peut être utile de revenir sur la naissance de l’UNSA, car elle aide à comprendre le présent et à envisager l’avenir. C’est l’ambition modeste de cet article qui méritera à l’avenir de nombreux compléments.
Pour le moment, en forme de conclusion provisoire, on peuts’inspirer d’un propos d’Albert Camus, pour qui il existe deux types d’efficacité : d’un côté, l’efficacité du typhon, qui détruit tout sur son passage avant de laisser place à une éventuelle reconstruction. De l’autre, l’efficacité de la sève, qui permet de construire progressivement et durablement. C’est cette dernière voie que l’UNSA a choisi dès ses débuts : celle du syndicalisme réformiste rassemblé qui a trente ans aujourd’hui et l’avenir devant soi !
Bibliographie indicative :
Tous les éléments sur l’assemblée constitutive du 12 février 1993 sont dans le numéro n°468 de Fen Hebdo du 19 février 1993. Pour y avoir accès en ligne
Le livre d’Alain OLIVE, Qu’est-ce que l’UNSA, Paris, éditions de l’Archipel, 2002, est une très bonne introduction pour mieux connaître la naissance de l’UNSA. C’est à la fois un document de témoignage et un programme explicatif.
Le témoignage écrit de Jean-Paul Roux « De la FEN à l’UNSA Éducation » est essentiel pour connaître cette période et le rôle de la FEN dans la création de l’UNSA. Disponible en ligne
Le même Jean-Paul Roux a écrit un texte à l’occasion des 25 ans de l’UNSA
On complétera par les témoignages complémentaires de Jean-Paul GUALEZZI, de la FGAF, et de Jean-Paul ROUX « Aux origines de l’UNSA », en ligne
Luc Bérille est également l’auteur d’un article rappelant la naissance de l’union pour les 25 ans, à retrouver ici
Parmi les études scientifiques sur l’UNSA, on peut citer Benoît VERRIER, L’UNSA. Organisation et audience, 2006, en ligne
Enfin, Nicolas ANOTO, avec la collaboration de Benoît Kermoal, Du SNI au SE-UNSA : 100 ans d’engagements pour l’Ecole publique, SUDEL, 2022. On y trouvera de nombreuses indications sur l’histoire de l’UNSA, avec en particulier des témoignages.
[1] Alain OLIVE, Qu’est-ce que l’UNSA, Paris, éditions de l’Archipel, 2002.
[2] Paco Ignacio TAIBO II, De Passage, Paris, Métaillié, 1995, p.43.
[3] Lucien FEBVRE, « Quatre leçons sur le syndicalisme en France (août- septembre 1919 et été 1920 », Le Mouvement social, n°238, 2012/1, pp.17-51.
[4] Je tiens à remercier vivement celles et ceux qui m’ont fait découvrir cette histoire de l’intérieur, en premier lieu, Jean-Paul Roux, mais aussi Guy Putfin, Luc Bentz et beaucoup d’autres.
Militant actif impliqué au SNI-Pegc depuis mon admission à l’ENG de Limoges en 1964, j’ai été parfois acteur mais toujours observateur attentif et intéressé par les avatars du SNI, instruit par nos illustres anciens : Henri Aigueperse, Pierre Desvalois, Michel Bouchareissas et plusieurs autres haut-viennois comme Louis Desbordes, et mes maîtres de CC : Charles Martial et Henri Marty, tous présents dans « le Maitron ». Co-organisateur à Limoges du dernier Congrès national du SNI-Pegc, j’avais bien compris que l’éclatement du SNI et de la FEN était inévitable, et que le syndicalisme réformiste et autonome ne pouvait que profiter de la scission. Je regrette simplement que de trop nombreux collègues n’aient vu là que de mauvaises raisons de quitter le SE, et la FEN.
J’espère que l’histoire de ces trente ans sera largement diffusée et qu’elle sera vue et retenue par nos collègues…
Bon vent à l’UNSA et à ses dirigeants.
BL
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N’y a-t-il pas une coquille dans cet article ? Le Jacques Malet premier président dont il est fait mention, ne serait-il pas plutôt Jacques Mairé ?
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Non il s’agit bien de Jacques Mallet. Jacques Mairé n’arrive
à l’UNSA qu’en 1998 !
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Bonjour merci pour cet article car la création de l’unsa correspond à mon arrivée à l’époque au réseau CNDP-CRDP (le jour où je passais le dernier oral de documentaliste du ministère de l’éducation nationale l’après midi je signai comme militant uid du sneetaa encore fen l’acte de création du SE-FEN. Je changeai ensuite de syndicat et de métier et je me souviens des premières manifestations pour les retraites où des profs qui me connaissaient me demandait c’est quoi ton syndicat car ils découvraient l’unsa
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