« Les personnels n’acceptent plus d’être traités par ordinateur. Ils aspirent à une gestion individualisée, plus humaine, respectueuse de leurs qualités et de leurs efforts ». Il ne s’agit pas ici de la conclusion d’un nouveau rapport sur la gestion des ressources humaines du Ministère de l’Éducation nationale, mais d’une analyse de Bernard Toulemonde en 2001 (*). Après avoir exercé les fonctions de directeur de l’enseignement scolaire de mai 1998 à janvier 2000, l’auteur invite alors à construire « un nouvel âge de la gestion des personnels pour le XXIe siècle – pour que le Service public puisse continuer à remplir sa belle mission : la réussite de tous les élèves ».
Il voyait pour ce faire trois pistes à explorer.
Tout d’abord, il préconisait que « la gestion des ressources humaines implique une gestion de proximité, au plus près des intéressés : déconcentration, largement réalisée sur les autorités académiques, et articulation avec les établissements scolaires », tout en posant la question des « postes à exigences particulières » et de « comment tenir compte du projet de l’établissement ? ».
Il appréhender la gestion des ressources humaines appuyée « sur une évaluation sérieuse du travail des personnels : objectifs clairement fixés aux agents, rapport d’activité, regard sur le travail effectué […], accompagnement ».
Enfin, il considérait que l’évaluation devait « déboucher sur des perspectives de carrière et sur un perfectionnement professionnel » et qu’à cet égard il était nécessaire de considérer la formation continue « comme un véritable investissement et à l’articuler sur la carrière ».
En 2013, la Cour des Comptes dans un rapport intitulé « Gérer les enseignants autrement« , mettait en évidence les « multiples dysfonctionnements » de la gestion des enseignants par l’Éducation nationale. Si elle prônait une meilleure reconnaissance de leur professionnalité, y compris par des augmentations de salaire, elle invitait les personnels, en contrepartie, à une augmentation de leur temps de travail et mieux répondre à des soucis de performance.
Cette même Cour des Comptes dénonce en 2020, l’échec du système d’information des ressources humaines de l’Éducation nationale (SIRHEN), considérant qu’il s’agit d’« une modernisation dans l’impasse », à laquelle il a été mis fin en 2018.
Un colloque organisait par l’AFAE à Rouen, en 2019, prolongeait par le numéro 163 de la revue « Administration & éducation », s’interrogeait ainsi sous la plume de Gérald Chaix (***) : « Existe-t-il une politique des ressources humaines à l’Éducation nationale ? ». Il mettait en lumière les difficultés de « concilier [à la fois une] gestion de masse, à l’échelle nationale, et [une] gestion de proximité, à l’échelle des académies, des établissements et des écoles ». Une insistance est posée sur la diversité des métiers de l’éducation, sur la multiplicité des statuts et des « corps », élément de réalité actuelle comme de rappel de l’histoire. De plus, « la massification de l’enseignement secondaire et, dans une moindre mesure de l’enseignement supérieur, la diversification des publics, l’accélération du renouvellement des connaissances, les évolutions technologiques, les mutations sociales et les transformations du rapport à l’autorité ont fortement bouleversé les métiers de l’enseignement et de l’éducation ». Ces changements sont irréversibles et « réclament de nouvelles compétences ». L’article insiste à la fois sur les exigences en « une formation continuée tout à la fois personnelle et collective » ainsi que sur la valorisation et la reconnaissance de l’expertise professionnelle, sur la nécessité d’un travail en équipe et sur la place de l’évaluation.
Enfin est posée l’évolution liée à la mise en place des « conseillers de ressource humaine de proximité », instaurés par la circulaire 2019-109 du 17 juillet 2019. Si « le passage d’une gestion quantitative à une gestion qualitative des personnels est synonyme d’une gestion de proximité […, cette] « GRH de proximité » ne signifie pas pour autant la fin d’une politique nationale. Tout au contraire. Elle implique une prise en compte réfléchie, cohérente et harmonisée des différentes échelles d’analyse et d’action : écoles et collèges, « réseaux du socle » et circonscriptions ; lycées et CFA, réseaux de formation secondaire et supérieure et bassins » et doit prendre en compte les « fractures territoriales » comme « la diversification des parcours professionnels ».
Il est certainement encore trop tôt pour évaluer les effets de la mise en œuvre de cette GRH de proximité, mais sans une connexion plus grande avec les modes de recrutement et d’affectation, avec les actions de développement professionnel et de formation, sans une reconnaissance et une valorisation des métiers et de la professionnalité des personnels, elle risque de rester une gestion de la pénurie et du mal-être professionnel… Loin de l’ambition affichée en 2001 d’ « un nouvel âge de la gestion des personnels pour le XXIe siècle [… et pour] la réussite de tous les élèves ».
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(*) L’article de Bernard Toulemonde de 2001 est republié dans le dernier numéro de la revue Administration & Éducation fêtant les 45 ans de la revue : Toulemonde, Bernard. « Pourquoi la gestion des ressources humaines est-elle devenue une préoccupation dans l’Éducation nationale ? », Administration & Éducation, vol. 177, no. 1, 2023, pp. 105-110.
(**) https://www.ccomptes.fr/fr/publications/gerer-les-enseignants-autrement
(***) Chaix, Gérald. « Existe-t-il une politique des ressources humaines à l’Éducation nationale ? », Administration & Éducation, vol. 163, no. 3, 2019, pp. 5-9.
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