Après avoir rappelé que « jusqu’à la fin de la troisième République, il n’était pas permis que les boursiers d’État puissent être accueillis dans un établissement scolaire privé car cela était considéré comme un financement public (indirect) non autorisé du privé », l’historien de l’éducation Claude Lelièvre s’interroge sur « le protocole d’accord qui vient d’être signé entre le ministère de l’Éducation nationale et l’enseignement catholique » se demandant s’il ne va pas « dans une direction à contresens ? ». Dans ce protocole, signé le 17 mai, l’enseignement catholique s’engage en effet « à doubler le taux d’élèves boursiers en cinq ans » (il est actuellement de 13 % contre 30 % dans le public) et ce en contreparties financières de la part de l’État. Mieux, « le MEN s’est engagé à « sensibiliser » les collectivités territoriales « pour ouvrir aux élèves des établissements d’enseignement privé les mesures sociales dont bénéficient les élèves des établissements publics dès lors qu’ils concourent à la mixité sociale » ».
Le Comité National d’Action Laïque (CNAL) dans un communiqué a fait connaître les raisons d’une opposition à un tel accord non contraignant, rappelant les fondements même de la laïcité (par la loi de 1905) et la reconnaissance d’établissements scolaires privés par la loi Debré de 1959. En aucun cas, il ne s’agissait de reconnaitre « une entité confessionnelle concurrente du service public d’enseignement ».
Dans un billet, Jean-Paul Delahaye, autre fin connaisseur de l’histoire scolaire, précise que « Michel Debré a refusé catégoriquement de reconnaître autre chose que des établissements privés » et cite son discours lors de la séance du 23 décembre 1959 à la Assemblée nationale : « c’est également une chimère, et une chimère dangereuse, que celle qui conçoit, par l’association de droit public de tous les établissements privés dans les différents ordres d’enseignement, la constitution d’une sorte d’université nationale concurrente, que l’État accepterait de considérer dans son unité, avec laquelle il traiterait, sinon d’égal à égal, en tout cas comme avec un vaste corps intermédiaire auquel serait reconnu, par une délégation implicite, une responsabilité partielle mais nationale dans la mission générale de l’enseignement ».
Or, c’est là le principal problème du protocole ministériel : il est signé avec le secrétaire général de l’enseignement catholique, lui déléguant, « de fait, ce que ne voulait pas Michel Debré, « une responsabilité partielle mais nationale dans la mission générale de l’enseignement ». Une responsabilité en effet partielle car le secrétaire général de l’enseignement catholique n’a pas de réel pouvoir sur les établissements », ce qu’il reconnait lui-même.
Passant ainsi du pluriel des établissements privés sous contrat au singulier de l’enseignement catholique, le ministre, voire le gouvernement, contribue « à côté de l’édifice public de l’éducation nationale […] à l’élaboration d’un autre édifice qui lui serait en quelque sorte concurrent et qui marquerait, pour faire face à une responsabilité fondamentale, la division absolue de l ‘enseignement en France ». Pour Michel Debré ceci « n’était pas concevable, pour l’avenir de la nation ». L’est-ce depuis devenu ?
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L’article de Claude Lelièvre : https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/220523/le-principe-de-subventions-publiques-des-etablissements-prives-fragilise
Sur le site du CNAL : https://www.cnal.info/mixite-sociale-lenseignement-prive-religieux-menace-letat-capitule/
Le billet de Jean-Paul Delahaye : https://blogs.mediapart.fr/delahaye-jp/blog/220523/mixite-sociale-et-scolaire-dans-le-prive-relire-la-loi-debre-de-1959
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